Depuis le 11 septembre 2001, l’amalgame entre islam et terrorisme est systématique. L’islam est ainsi considéré comme une religion viscéralement violente et guerrière.
Déconstruire les préjugés
Un ensemble de mots avec le suffixe « isme » qualifie l’islam aujourd’hui. Terrorisme, fondamentalisme, obscurantisme, radicalisme, djihadisme… Une guerre des mots est utilisée à l’égard de la religion musulmane afin de façonner l’inconscient des masses et d’assigner l’islam au registre des pathologies.
Ce texte se propose d’engager une réflexion sur le vrai sens du mot djihad en islam. D’autant plus, que le discours djihadiste prolifère aujourd’hui de manière inquiétante et que terrorisme et islamophobie font bon ménage dans notre contexte.
Un certain nombre de clichés négatifs et de fausses évidences existent à l’endroit de l’islam et des musulmans. Ces préjugés résultent d’une méconnaissance de la religion musulmane, de sa pensée et sa vocation de paix et de tolérance. Cependant, pour déconstruire ces préjugés et éviter de tomber dans une vision essentialiste, il est nécessaire de définir les concepts d’islam, d’une part, et de djihad, d’autre part, et le replacer dans un contexte à la fois historique et politique.
Que veut dire le mot djihad aujourd’hui ?
Le djihadisme est-il une forme islamique du terrorisme ? Le djihadisme est-il l’avatar de l’islam ? La violence est-elle intrinsèque à l’islam ? L’islam est-il un élément perturbateur pour la paix dans le monde ? Autant de questions qui exigent des réponses claires et audibles.
Comme le souligne Mohammed Arkoun[1], en français, on a l’habitude de traduire le mot islam par soumission. Or, étymologiquement, islam, en langue arabe, signifie » livrer quelque chose à quelqu’un « . Il s’agit donc, de » livrer sa personne dans sa totalité à Dieu, confier toute sa personne à Dieu « . Ainsi la religion musulmane implique le don de soi, plutôt que la soumission.
Nulle contrainte en religion
Le mot islam a également pour racine étymologique « salam » qui signifie paix. La paix est central, dans le Coran : « Ô vous qui croyez, entrez tous et toutes en paix »[2]. Être en paix et promouvoir la paix relèvent de l’ordre du sacré.
Parallèlement, un des quatre-vingt-dix-neuf noms glorieux de Dieu est « Paix » et, cinq fois par jour, le musulman invoque Dieu par cet attribut dans sa prière. L’état de paix résulte d’un lien intime entre l’homme et Dieu et d’une forte spiritualité.
L’islam étant défini, étudions maintenant son lien avec la violence, en particulier la notion de djihad.
Le mot djihad est souvent traduit par » Guerre Sainte » ou » Holly War » ; or » la guerre sainte » traduit, à son tour, en langue arabe, veut dire » Al Harb al-Mouqaddassa « . Cette terminologie n’existe nulle part, ni dans les textes fondateurs de l’islam, ni dans la littérature musulmane.
Il y a une vision erronée qui considère le djihad en islam à travers le prisme historique des croisades médiévales. L’idée d’une guerre sainte engageant les musulmans, au nom de leur foi, dans une guerre de conquête afin de contraindre les gens à se convertir n’existe pas en islam. Le Coran interdit la contrainte en matière religieuse : « Nulle contrainte en religion »[3] .
La foi musulmane, aussi ardente et sincère qu’elle puisse être, ne saurait rayonner et se propager par la force, car cela contredirait l’essence même du message.
Le djihad : faire effort sur soi
Le djihad vient du mot » ja-ha-da « , qui signifie faire effort et, en aucun cas, faire violence. Cet effort consiste, en effet, à réaliser une victoire sur soi, qui est la plus royale des victoires. Un effort contre sa propre violence et ses attitudes colériques. Ce djihad, appelé couramment « djihad an-nafs » : « l’effort sur soi » , est au centre de la spiritualité musulmane. C’est grâce à cette persévérance que l’homme maîtrise sa violence, domine sa colère et s’élève moralement et spirituellement.
Certes, le djihad peut prendre la forme d’un effort armé : Al Qitâl. Mais cet effort a toujours été codifié par des règles strictes.
Le combat armé n’est autorisé qu’en cas d’autoprotection ou légitime défense. Ainsi, les musulmans, pendant 13 années à la Mecque, ont utilisé la non-violence comme moyen de résistance malgré les persécutions, l’isolement et l’embargo social et économique.
Puis, à leur arrivée à Médine, ils ont eu la permission de Dieu de se défendre : « Toute autorisation de se défendre est donnée aux victimes d’une agression, qui ont été injustement opprimées, et Dieu a tout pouvoir pour les secourir. Tel est le cas de ceux qui ont été injustement chassés de leurs foyers uniquement pour avoir dit : Notre Seigneur est Dieu ! »[4].
À partir de ce verset coranique, la guerre a certes été autorisée, mais dans trois conditions :
- En cas de légitime défense, si tous les moyens pacifiques n’ont pas réussi à stopper l’agression
- En cas de persécution, de spoliation des propriétés
- Pour libérer des peuples du joug de la dictature.
Pas une goutte de sang
Omar Ibn Al-Khattab(DAS), deuxième calife après le Prophète Mohamed (PSDL) a libéré Jérusalem de l’occupation byzantine sans qu’aucune goutte de sang ne soit versée.
Salah Stétié explique dans son livre « Culture et Violence en Méditerranée » : « L’islam ne s’est vraiment imposé – une première fois par l’entrée du calife Omar dans la Ville sainte (Jérusalem) en 636, une seconde fois par la reconquête de la ville sur les croisés par Saladin en 1187 – que d’avoir géré pacifiquement, sur des siècles, l’ensemble de l’héritage. […] Les chrétiens de Jérusalem, comme ceux de Syrie et plus tard ceux d’Egypte, ont reçu les Arabes en libérateurs au témoignage de tous les historiens chrétiens de l’époque »[5] .
Un autre exemple intéressant est celui de l’émir Abdel Kader, héros de la résistance algérienne, qui a lutté vaillamment contre la colonisation française. Mais, établi dans la capitale syrienne, Il joua un rôle de premier plan lors des émeutes de 1860. L’émir sauva, au nom de la foi musulmane, des milliers de chrétiens du massacre. Sa conduite lui vaudra de nombreux témoignages de reconnaissance et des décorations. [6]
Donc le djihad renvoie à la notion d’effort : effort sur soi, effort de savoir et de connaissance, effort de développement … Et en aucun cas, une idéologie qui, se revendique de l’islam mais trahit, fondamentalement, sa vocation de paix et de justice, et préconise le terrorisme et les assassinats comme outils de lutte.
Le Coran déclare : « Quiconque porte atteinte à un innocent, c’est l’humanité toute entière qu’on remet en question »[7].
Le terrorisme n’a pas de religion
Le texte sacré est une chose, la lecture et l’interprétation qu’en font les hommes en est une autre. Les textes sacrés peuvent être instrumentalisés par les extrémistes de toute sorte.
L’islam est-il par essence violent ? Le Coran incite-t-il à la violence ? Ou bien ce sont les hommes qui prennent prétexte de tout, y compris du nom de Dieu, du Prophète et du Coran pour justifier et légitimer leur propre violence et leur propre fanatisme ?
Il est important de souligner que le terrorisme n’a pas de religion. Mais ce qui interpelle aujourd’hui, ce sont les moyens de communication utilisés par les djihadistes pour donner une résonnance planétaire à leur doctrine, attirer un jeune public et l’embrigader.
Les djihadistes utilisent internet, notamment les réseaux sociaux, et diffusent des vidéos prêchant la haine. Les jeux vidéo comme « Call of Duty » sont aussi utilisés pour charmer de jeunes candidats au djihad. Il faut noter également que le djihadisme est attractif pour des individus en rupture avec la société, avec leurs familles, ou en détresse psychologique.
Face à la violence du rejet, il y a la violence du djihadisme
Face à la violence du rejet, il y a la violence du djihadisme. Pour des jeunes sans repères, le djihadisme devient une carrière.
Face à de tels phénomènes, aux conséquences aussi graves pour notre société, nous devons nous engager à favoriser le dialogue et l’enrichissement mutuels, à refuser les amalgames et à lutter contre toute idéologie prêchant la violence, incitant et légitimant des crimes terroristes.
Nous devons également favoriser l’éducation et la participation citoyennes de manière à éliminer les conditions qui favorisent la prolifération de la violence et de la pensée extrémiste.
[1]M. Arkoun, Ouvertures sur l’islam, Grancher, 1992, p. 35.
[2]Coran : S. 2, V. 208.
[3]Coran : S. 2, V. 256.
[4]Coran : S. 22, V. 39 – 40.
[5]Salah Stétié, Culture et Violence en Méditerranée, 2008, Imprimerie nationale éditions, p. 128.
[6]« L’émir et les chrétiens », Conférence du 7 décembre 2004 à Lyon de Mgr TEISSIER et de M. BOUTALEB.
[7]Coran : S. 5, V. 32.
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